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Savez-vous à quel point il est difficile de penser à la manière d’une plante ?

Nano Macintosh,

Commissaire du varech

Contrôle des Courants

(extrait des Nouvelles du Soir de l’holovision du 3 juelès 493).

L’Immensité agita ses longs thalles gris-vert et flaira le courant à sa manière chimique. Cette exploration lui fit déceler, plutôt qu’une présence, le soupçon d’une présence. Cela ressemblait plus à de la prescience qu’à un stimulus sensoriel comme une odeur ou un goût, mais le varech savait qu’un peu de lui-même était en train de passer non loin dans le courant.

L’Immensité était une circonvolution de varech, un entrelacs subtil de lianes qui s’étalaient, telles les ramifications d’un puissant cerveau, à travers l’océan. Elle avait pris naissance sous une forme sauvage, celle d’un obscur plant de varech à l’intérieur d’un avant-poste Sirénien depuis longtemps abandonné. Elle savait à peine établir la distinction entre le « soi » et l’« autre » quand elle s’était pour la première fois trouvée en présence de l’équipe de recherche sur les phénomènes de l’Avata conduite par Alyssa Marsh. Presque tout ce que l’Immensité savait des humains, elle l’avait appris avec Alyssa Marsh.

Ce gisement de varech savait ce qu’était l’esclavage à partir des souvenirs humains puisés dans l’A.D.N. de cette femme. Il savait ainsi que le Contrôle des Courants le maintenait en état d’esclavage.

Un influx approprié dans ses lianes les faisait se lever, s’abaisser, se tendre ou se rétracter. D’autres impulsions électriques libéraient la luciférase dans ses thalles pour éclairer le passage des engins humains de transport sous-marin. Et il y avait beaucoup d’autres stratagèmes du même genre. Tous consistaient à faire passer un courant dans un circuit. Simple servitude, simple stimulation-réponse. Il s’agissait uniquement de réflexes et non de réflexion.

L’Immensité avait cependant toute l’éternité à sa disposition. Elle se prêtait à l’exercice parce qu’il faisait plaisir aux humains et n’interférait pas avec sa contemplation prolongée. Grâce à Alyssa Marsh et au neftile Nano Macintosh, le varech avait appris à remonter les signaux électriques jusqu’à leur source. Tout ce que les humains transmettaient maintenant parvenait directement au cœur de l’Immensité. Absolument tout.

L’Immensité était finalement prête à leur renvoyer quelques-uns de leurs signaux. Elle n’était plus loin du moment où elle accomplirait une percée à travers les lignes humaines, et cette percée ne se ferait ni par contact physique ni par propagation chimique, mais par l’intermédiaire d’ondes croisées de lumière dans l’atmosphère.

Faire plaisir aux humains était sans conséquence, mais leur déplaire ne l’était pas du tout. Une fois, peu après son éveil, ce gisement avait lancé, de douleur, ses tentacules autour d’un submersible en fuite qui meurtrissait ses thalles. L’énorme cargo avait creusé un boyau de cent mètres de diamètre sur près d’un kilomètre de long dans sa course folle à travers le varech. Après que celui-ci l’eut aplati et anéanti, les esclaves de Flatterie étaient arrivés avec des lance-flammes et des découpeuses pour le mutiler et le faire régresser jusqu’au stade de la petite enfance. L’Immensité savait qu’elle n’avait plus été capable de penser normalement pendant quelque temps à la suite de cet incident, et elle n’avait pas l’intention de permettre que cela se reproduise.

Une certaine vibration qui venait de naître au bout de ses thalles indiqua à l’Immensité que l’Unique, le Commissaire holo, était en train de passer. L’Immensité était capable d’unir des gisements épars de varech sous une seule volonté, un seul être, un seul mélange physique appelé « âme » par les humains. Au plus profond de sa mémoire génétique était un vide, une absence d’être qui ne pouvait se reconstituer à partir des labos génétiques des Siréniens. Ce vide attendait, comme un nid qui attend son œuf, le Commissaire holo qui pourrait enseigner au varech la manière d’unir des gisements fragmentés d’humains.

Par deux fois, cette Immensité avait perdu son corps, mais jamais sa volonté. Elle n’était capable d’éprouver ni chagrin ni regret, mais simplement des pensées et une sorte de méditation diffuse qui lui permettait de continuer d’exister pleinement dans le présent pendant que les impulsions électriques du Contrôle des Courants de Flatterie manipulaient son corps comme une marionnette.

Un réflexe est une réponse rapide effectuée en l’absence de supervision du cerveau. Une réaction est une réponse rapide effectuée sous une supervision minimale. Ce gisement de varech avait grandi en s’attendant à rester seul. Il avait appris ses premières réactions lorsque ses prolongements avaient rencontré ceux du varech apprivoisé. Il avait appris à tuer quand il se sentait menacé et à ne faire montre d’aucune pitié. Puis il avait appris à attendre des représailles quand il tuait.

Cette Immensité s’attendait à vivre éternellement. Mais la logique lui dictait que ce ne serait pas le cas si elle continuait de réagir face aux humains. Et voilà que l’Unique était en train de passer dans ses eaux ! Elle le savait aussi sûrement que le requin mako aveugle reconnaît la présence de la murelle.

L’Immensité originelle du varech, Avata, réunissait tous les océans de Pandore sous une seule conscience, une seule voix, un seul « être ». Sa première extinction génétique était survenue très tôt, au stade de formation de la planète. Elle avait été victime d’un champignon microscopique. Plus tard, un brusque rayonnement ultraviolet provenant d’une tempête solaire avait tué le champignon. Quelque part, un thalle primitif était demeuré momifié au fond d’un marais saumâtre, attendant le premier océan de Pandore.

La seconde extinction était due aux humains. Plus précisément, à un bio-ingénieur nommé Jésus Louis. Et le varech avait été ramené à la vie par une poignée d’explorateurs de l’A.D.N., une cinquantaine d’années plus tard. La variété améliorée que les Siréniens avaient ressuscitée était issue de ces premières expériences. Aujourd’hui, le varech remplissait de nouveau les mers, jouant le rôle d’atténuateur des tempêtes meurtrières.

Une fois de plus, les grands gisements avaient disséminé leurs signaux olfactifs. Ils s’étaient rapprochés les uns des autres au fil des années et leurs thalles avaient échangé des informations chimiques. Cette Immensité à elle seule contrôlait deux millions deux cent cinquante mille kilomètres cubes d’océan.

L’Unique suivait un couloir qui passait à la lisière de l’Immensité. Cette avenue particulière était issue d’un gisement de varech bleu connu pour avoir attaqué des représentants de sa propre espèce et les avoir réduits à sa merci en les vidant de leur substance pour y injecter la sienne à sa place. Il avait subi de nombreux élagages et avait désespérément besoin d’être guidé. Tout cela, l’Immensité le savait grâce à des bribes de terreur qui lui parvenaient sur des fragments de thalles arrachés par le courant. On ne pouvait laisser l’Unique à la portée d’un gisement si dangereux. Son existence devait être préservée à n’importe quel prix.

Le varech modifia légèrement ses positions, malgré les coups d’aiguillon du Contrôle des Courants, de manière à attirer l’Unique dans ses courants extérieurs avant de le faire spiraler dans les profondeurs plus sûres de ses propres thalles.